Récits et poèmes d'outre-grilles

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Cassons une plume


Le dernier livre de Cesare Battisti publié est "Indio" et dans le court écrit qui suit, l'auteur réfléchit au sens et aux difficultés de l'écriture et se demande comment il est possible que son livre, une histoire réécrite de la conquête du Brésil, puisse être, comme cela a pu être écrit dans la presse "une insulte qui éveille la douleur des victimes".

Traduction faite par 1mot2Cesare. (Le texte original suit juste après)

Merci, si vous êtes en mesure de le faire, de vérifier cette traduction, ou de la prendre avec précaution dans le cas contraire. En effet, la maxime selon laquelle "traduire est toujours un peu trahir", outre les faux frères fréquents entre l'italien et le français, prend d'autant plus de sens dans une situation comme celle que Cesare vit actuellement.



Cassons une plume




Écrire, c'est s’examiner avec recul, pour découvrir la myriade de fils qui nous lient à chaque instant tombé sur le chemin. Il est donc effrayant de prendre un stylo et d'observer la fragilité de l'équilibre. C'est lorsque l'armure tombe que les ennemis en carton disparaissent. Et l'écrivain reste seul, dans le silence absolu. Un claquement de doigts fait sauter le cœur dans la gorge ; une feuille qui voltige est une caresse pour l'âme. Des sensations d'une clarté extrême, fortes à en mourir. Le chemin de toute personne qui écrit est jonché de corps. On meurt en cours de route. S'asseoir et écrire, c'est sauter dans un train pour partir au front. Seuls les ignorants confondent excitation et enthousiasme. L'écrivain qui part sait que plus que l'arrivée, il doit craindre le retour. Sa guerre est dépourvue de ligne de front, ni coups de canon, ni déflagration de mots. Il s'accroche aux fils incandescents, se brûle la peau. Abattu d’une rafale de pensées. C'est un soldat, gloire à lui. Il aura une sépulture digne et un nom de rue. L'histoire est reconnaissante à ceux qui la servent. Celui qui écrit se risque à tomber sur les lettres d’or. S'il cesse d'écrire, il finira parmi les perdus, "hic jacet". Pour ceux qui doivent écrire, mais ne peuvent plus le faire, il y a le cercle des damnés. Un lieu incompréhensible, même pour les responsables. Ici sont consignées toutes les phrases boiteuses de l'Histoire, les pensées non concluantes, les idées étouffées dans l'œuf. Ici, un stylo est cassé à chaque nouvel ajout. Et certaines se font attendre 40 ans.
C’est un article de journal qui a sanctionné mon entrée dans le cercle. Républicain et garant, bien sûr. On pouvait y lire ces mots : "La publication de son livre est une insulte -pauvre Torquemade - qui réveille la douleur des victimes".
Il s'agit de l'édition française de "Indio". Je me souviens encore de mon désarroi à essayer de comprendre à qui l'auteur de ce livre aurait manqué de respect en romançant une autre histoire de la conquête du Brésil en 1494. Un éventuel manque de respect pour les Belles-Lettres exacerbant la douleur, pourtant légitime, des proches des disparus ? Un correspondant de guerre ou un critique littéraire ? Un banal article de journal, une phrase jetée par quelqu'un qui n'a pas le temps d'écouter le bruit des feuilles. Des considérations si pénibles qu'elles me poussent à me demander s'il existe un moyen pour moi, qui ne peut m'empêcher d'écrire, de le faire sans pour autant piétiner les déchus. Et sans insulter l'histoire. Nous sommes d’étranges phénomènes.
Depuis lors, chaque fois que je prends un stylo, au lieu de m'offrir à l'instant qui fait vivre, peut-être en échange d'une émotion, je pointe mes pieds pour ne pas suivre le battement des tambours de guerre. Non plus la nôtre, inutilement combattue au nom d'une idée, mais une tout’ autre que certains s'obstinent à rendre infinie.
Il existe encore dans notre monde des clans et des tribus qui n'existent qu'en fonction d'une guerre à mener. C'est l'affrontement avec l'ennemi qui les fait coexister, qui réaffirme leur identité perdue, et vice versa. Qu’on abaisse leurs armes, qu’on coupe leurs barbelés, et il ne leur reste plus que le risque de tomber entre deux lignes de pensée en caractères dorés. Ou bien briser un stylo dans le cercle des damnés.






Cesare Battisti - Février/Mars 2021








L’ultimo libro di Cesare Battisti pubblicato è «Indio» e in questo breve scritto l’autore riflette sul senso e le difficoltà della scrittura e si chiede di come sia possibile che quel suo libro, una storia riscritta della conquista del Brasile, possa essere « un insulto che risveglia il dolore delle vittime ».

SPEZZIAMO UNA PENNA



Scrivere è guardarsi a giusta distanza, tanto da scoprire la miriade di fili che ci legano ad ogni istante che cade sul cammino. Fa perciò paura prendere una penna e mettersi ad osservare la fragilità dell'equilibrio. E’ quando cade la corazza che svaniscono i nemici di cartone. E lo scrivente resta solo, nell'assenza di rumore. A uno schioccar di dita salta il cuore in gola; il volteggiar di foglia è una carezza all'anima. Sensazioni di estrema chiarezza, tanto forti da morire. Il cammino di chi scrive è pieno di caduti. Si muore, andando. Sedersi a scrivere è balzar su un treno per il fronte. Solo gli ignari confondono l'agitazione con l'entusiasmo. Lo scrivente che parte sa che più dell'arrivo ha da temere il ritorno. La sua è una guerra senza linea di fronte, niente colpi di cannone, né deflagrazioni di parole. Egli si aggrappa ai fili incandescenti, brucia la sua pelle. Abbattuto da una raffica di pensieri. E’ soldato, gli sia data gloria. Avrà una degna sepoltura e il nome di una via. La storia è riconoscente con chi la sa servire. Colui che scrive rischia di cadere sulle lettere dorate. Se smette di farlo finisce tra i dispersi, “hic jacet”. Per chi invece deve scrivere, ma non può più farlo, c'è il girone dei dannati. Un luogo incomprensibile perfino agli addetti. Sono qui ristrette tutte le frasi zoppe della Storia, i pensieri inconclusi, le idee stroncate sul nascere. Qui si spezza una penna ad ogni nuovo aggiunto. E c'è chi si fa aspettare 40 anni.
A sancire il mio ingresso nel girone è stato un articolo di giornale. Repubblicano e garantista, è ovvio. Si leggevano queste parole: “la pubblicazione del suo libro è un insulto -povero Torquemada- che risveglia il dolore delle vittime”.
Si tratta dell'edizione in francese di “Indio”. Ricordo ancora lo sgomento al tentare di capire a chi avrebbe mancato di rispetto l'autore di quel libro al romanzare una diversa storia della Conquista del Brasile nel lontano 1494. Un possibile sfregio alle belle lettere, tanto da acutizzare il pur legittimo dolore dei parenti dei caduti? Un corrispondente di guerra o un critico letterario? Un banale articolo di giornale, una frase buttata lì da chi non ha tempo di ascoltare il rumore delle foglie. Considerazione tanto sgradevole da farmi chiedere se esiste anche per me, che non posso impedirmi di scrivere, un modo di farlo senza però calpestare i caduti. Né insultare la Storia. Siamo fatti strani. Da allora, ogni volta che prendo una la penna, invece di offrirmi all'istante che ci intrattiene, magari in cambio di un'emozione, punto i piedi per non seguire il rumore dei tamburi di guerra. Non più la nostra, quella inutilmente combattuta in nome di un'idea, ma un'altra che alcuni si ostinano a rendere infinita.
Ci sono ancora in questo nostro mondo, clan e tribù che esistono solo in funzione di una guerra da combattere. E’ lo scontro col nemico che li fa coesistere, riafferma la loro identità perduta, e viceversa. Abbassiamogli le armi, tagliamogli i fili spinati, e non resta più loro che il rischio di cadere tra due linee di pensiero a caratteri dorati. O spezzare una penna nel girone dei dannati.

Cesare Battisti
Rossano,
Février/Mars 2021.





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