Récits et poèmes d'outre-grilles

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1Mot2Cesare - Lundi Matin - Blog Médiapart LeNous - Carmilla OnLine - Becco di Ferro - La vendetta dello Stato (Page FB via dontolink)

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L'ile du Chat Bleu


Un conte pour enfants, écrit par Cesare Battisti alors qu'il était incarcéré à Oristano, publié sur Carmilla online - Il caso Battisti, Testi le 2 Settembre 2020 sous le titre L’isola del Gatto Blu et traduite de l'italien ci-après par 1mot2Cesare.
Merci, si vous êtes en mesure de le faire, de vérifier cette traduction, ou de la prendre avec précaution dans le cas contraire. En effet, la maxime selon laquelle "traduire est toujours un peu trahir", outre les faux frères fréquents entre l'italien et le français, prend d'autant plus de sens dans une situation comme celle que Cesare vit actuellement.

A mon petit Raul Tomaz. Pour son chat de peluche que j’entrevois au travers de la webcam,
pour les délices qu'il glisse dans son panier,
pour ses voyages à l'infini.




Au milieu d'une mer inconnue, derrière une barrière de vagues monstrueuses, se dressait l'île du chat bleu. C'était une île mystérieuse, plein de charmes et de secrets. Tant de secrets que personne, jamais, n'avait réussi à les découvrir.

C'était une île magique. Il se racontait que toute personne qui pouvait débarquer sur ses plages dorées recevrait le pouvoir de réaliser tous ses rêves. Réaliser les rêves ? Oui, tous, même les plus espiègles. Qui n’aurait pas aimé posséder si grand don ! Mais, comme tous les
les merveilles, rares sont ceux qui les méritent.

On partait de toutes les coins de la Terre pour braver les vagues et pouvoir profiter d’un bien si précieux. Parfois, il semblait presque que quelqu'un avait réussi. Mais, à deux pas de la plage dorée, alors que les poissons aux couleurs chatoyantes sortaient déjà de l'eau pour applaudir, le malheureux, épuisé par l'effort, perdait l'espoir et se noyait.

Il était très difficile de se rendre sur l'île. Rois, guerriers, même les super-héros, quiconque osait défier la mer finissait emporté par des vagues aussi grandes que des montagnes. La force n’y faisait pas grand chose, ni la ruse et la richesse encore moins. Seul celui qui avait le cœur aussi pur que l'amour pouvait réaliser ce rêve merveilleux.

Mais comment fait-on pour avoir le cœur pur ? C'était la question que tout le monde posait et à laquelle personne ne pouvait répondre.

Après tant de tentatives tragiquement échouées pour atteindre l'île, même les plus courageux n’osèrent plus se mettre en route. Trop d’entre eux étaient partis et n'étaient jamais revenus. Personne ne réussirait à vaincre la fureur de la mer.
Ainsi passèrent les années. Occupés à se faire la guerre, les peuples finirent par oublier la merveilleuse île du Chat bleu.

Longtemps, bien longtemps après, alors que même les guerres s’étaient fatiguées des hommes et ces derniers ne sachant plus que faire, surgit une pandémie qui a ébranla le monde. Du jour au lendemain, tous ceux qui sortaient dans la rue pour s'amuser ou pour travailler furent contraints de rester cloîtrés à la maison. S'ils sortaient à découvert, le virus méchant les assaillait à l’improviste et les asphyxiait. Seuls ceux qui sortaient masqués avec les adultes parvenaient parfois à courir au marché puis rentrer, toujours en courant, à la maison. Mais on ne pouvait pas y aller tous les jours, c'était dangereux !

Une vie aussi dure, personne ne la mérite. Même les arbres et les les animaux du parc étaient devenus tristes. Parce que les enfants ne venaient plus jouer. Les petits étaient enfermés à la maison toute la journée. Pauvres enfants, à la recherche de quelque chose pour se distraire ou d'un morceau à grignoter. Ce n'était pas une vie que celle là. Un enfant a bien le droit de jouer, de gambader à l'air libre pour essouffler un peu les adultes qui courent derrière. Et ne pas rester assis à la maison à rêvasser, à attendre qu’il se passe quelque chose d'intéressant.

C'est ce qui était arrivé à Bubù au temps de la pandémie.

L'après-midi était étouffant. L'enfant avait le visage enfoncé dans le canapé. "Qu'est-ce que je fais maintenant ?" se demandait-il en se donnant des coups de pied. De temps en temps, il se levait pour aller au frigo se prendre chose à grignoter. Il fallait faire tout doucement. Ne pas se faire entendre de sa mère qui faisait mine de travailler dans la pièce à côté. Mais, bien que de bon appétit, le pauvre Bubù n’en pouvait plus des aubergines habituelles. Ou de cette caillette, que lui trouvait plutôt dégoûtante.

La pandémie ne cédait rien. Pendant un certain temps, Bubù avait aussi tenté de se résigner à cet enfermement. Mais maintenant, il se sentait étouffer. Il rêvait les yeux ouvert, de prairies infinies, de courses à en perdre le souffle, de forêts, de jeux, de la mer. Mais ce jour-là, l'image la plus déchirante, celle qui ne l'a pas quitté, était une assiette pleine de saucisses avec des champignons et des frites. Un délice qui le prenait à l'estomac, le faisant se tordre sur le canapé comme une anguille hors de l’eau.

Au bord du désespoir, avec l'odeur de saucisse qui obscurcissait sa vision, un gémissement lui échappa qui fait vibrer toute la maison. Effrayé par ses propres lamentations, il n’entendit pas immédiatement le miaulement. Puis il senti un poil doux frotter contre sa jambe nue, et sursauta. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir un chat bleu sur son canapé. C'était un chat grand et gros et il était tranquillement assis sur ses pattes arrière. Il le regardait fixement et il semblait lui sourire avec ses longues moustaches noires. Revenu de sa surprise, Bubù réalisa que le bleu n'était pas une couleur de chat.
Et puis, d'où pouvait-il bien surgir ?



- Que de questions ! Dit soudain le chat.
Bubù alla se recroqueviller au fond du canapé, se cachant le visage entre ses mains. Ce pouvait-t’il que se soit lui qui ait parlé ? Était-ce la faim qui lui provoquait des illusions ? Bubù jeta un œil entre ses doigts pour s’assurer qu’il ne l'avait pas imaginé. Mais le chat bleu était juste là, assis sur son canapé. L'air un peu agacé, il parla à nouveau :

- Qu’est-ce qui t’arrive, tu n’as jamais vu un chat ?

Bubù respira profondément, il se pinça l'oreille, puis trouva le courage de répondre :

- Oui, je veux dire... non, les chats ne parlent pas.

Le chat bleu éclata de rire.

- Shhht, fit aussitôt Bubù. Maman peut t'entendre.

- Tu as raison, répondit le chat. Mieux vaut être prudent, les mères sont curieuses

Mais dis-moi, mon garçon, c’est quoi cette histoire de saucisses, de prairies et de mer ? Bubù en resta bouche bée.

- Comment les chats savent-ils ce que je pense ? demanda t’il, incrédule. Le chat bleu était sur le point d'exploser dans un autre rire, mais il se retint en plaquant la patte sur sa bouche.

- hé, hé, mon cher, mais je ne suis pas n'importe qui. Je suis le Chat Bleu, le gardien de l'île magique.

A ces mots, Bubù répliqua, renfrogné,

- Ce n'est pas vrai, le professeur à l'école a dit que c’était une légende.

- Très juste, fit le chat en tapotant le canapé de la patte, mais même les légendes peuvent devenir réalité. Regarde-moi, ne suis pas en train de parler en ce moment-même?

Le pauvre Bubu ne trouvait plus de mots. Ça lui aurait plu, à lui, que ce chat bleu dise la vérité et que l'île magique existe vraiment. Mais une telle chose n’était jamais arrivé à personne auparavant. Pourquoi justement à lui ? Est-ce que ce n’était pas par hasard, le virus qui le faisait délirer ? Et puis...

Le Chat Bleu interrompit brusquement ses pensées.

- Cesse de te lamenter, sais-tu combien ont essayé d’aller sur l'île et en sont tous morts ? Et toi qui as la chance de m'avoir ici, tu voudrais tout gâcher parce que les adultes disent que je n'existe pas ? Ça ne te plairait pas de réaliser tous tes rêves ? Cette saucisse, par exemple, huumm, tu l’as oubliée ?

Bubù a senti sa bouche se remplire de salive. Il se serait jeté sur cette saucisse, mais il avait trop peur de se réveiller en mastiquant encore des aubergines.

- Et revoilà ces aubergines. En somme c’est ce que tu veux plutôt que ces saucisses ?

- Ho et puis zut, s'écria Bubù, que dois-je faire pour l'obtenir ?

- Simple, miaula le chat bleu, il suffit de caresser ma tête.

- Et il y aura aussi les champignons avec les frites ?

- Bien sûr, mais alors il faudra caresser avec toute la pureté de ton cœur.

À peine Bubù eut glissé doucement ses doigts sur la tête du Chat Bleu, qu'un plat de saucisses, de champignons et de frites fumantes se matérialisa sur le canapé. Titubant, Bubù allongea la main. Il en senti la consistance sous ses doigts, et, enivré par l'odeur, se rua sur l'assiette et commença à l’engloutir à pleines mains.

- Hé, doucement, laisse-moi quelque chose pour moi aussi, et ensuite je dois rentrer tout là bas sur l'île.

En un clin d'œil, la vaisselle fut nettoyée. Bubù se léchait les doigts et le Chat Bleu ses petites pattes.

- Bon, je dois vraiment y aller maintenant, dit le Chat Bleu, s'étirant paresseusement. Quand tu voudras réaliser un autre rêve, viens me chercher.

Les larmes de Bubù jaillirent.

- Mais je ne peux pas traverser des vagues aussi hautes que des montagnes pour venir sur votre île.

Ému par ces mots, le Chat Bleu sauta sur ses genoux, et avec sa langue un peu rude, il a essuya ses larmes. Puis dans un miaulement mélodieux, il dit :

- Ne t'inquiète pas mon petit ami, ton cœur est pur. Il n’y aura pas de vagues pour t’arrêter au cours de traversées sans fin. Il te suffira de penser à moi avec ton cœur et je serai là pour réaliser chacun de tes rêves.

Ayant dit ces mots, le Chat bleu, pouf, s’évanouit dans les airs. Bubù resta pensif un instant. Puis il couru au frigo et se servi un reste de confiture de cerises. Le chat bleu avait oublié le dessert.