"Face à la menace fasciste - ITW

"Face à la menace fasciste - ITW Ludivine Bantigny et Ugo Palheta : « L’antifascisme ne peut
être à l’écart des luttes sociales »
Vendredi 10 Septembre 2021
Florent LE DU

Face à la lepénisation du débat public, qui peut annoncer un avenir très obscur, Ludivine
Bantigny et Ugo Palheta proposent, dans un ouvrage paru aux éditions Textuel, des solutions
pour enrayer cette spirale.

Ce week-end, le Rassemblement national organise sa rentrée à Fréjus (Var). L’occasion pour
Marine Le Pen de présenter son programme présidentiel. Elle en a déjà donné quelques
éléments, comme la suppression de mécanismes d’acquisition de la nationalité française, la
privatisation de l’audiovisuel public ou la nationalisation des autoroutes. Des propositions qui
la mèneront jusqu’à l’Élysée ? Cette perspective, effrayante, n’est plus à écarter, facilitée par
un climat de « fascisation », comme l’écrivent Ludivine Bantigny et Ugo Palheta. Dans Face à
la menace fasciste (1), ils alertent sur le durcissement autoritaire actuel, l’évolution du débat
public, qu’il convient de combattre, et leurs possibles conséquences.

Qu’est-ce qui caractérise une « phase de fascisation », comme vous l’évoquez
dans votre livre ?

Ugo Palheta : Parmi les signaux les plus évidents de ce processus, il y a bien sûr la montée en
puissance des forces d’extrême droite aux niveaux électoral et idéologique, en France et
ailleurs. Mais il y a d’autres dimensions. D’abord, la fascisation qui s’exprime à travers
l’évolution du débat public, avec la banalisation des discours d’extrême droite. C’est un
phénomène qu’on retrouve chez des éditorialistes, des pseudo-journalistes ou dans le
champ politique. L’extrême droite mord idéologiquement sur la droite, la Macronie, voire
une partie de la gauche. Quand on voit le premier secrétaire du PS présent à une
manifestation factieuse de policiers et qu’il appelle à ce que la police ait un droit de regard
sur les décisions judiciaires, on mesure le chemin parcouru. Et puis il y a la fascisation de
l’État, avec un rééquilibrage en faveur des appareils de répression et des discours qui
empruntent aux idéologies néofascistes.

Vous écrivez que « le fascisme n’est pas incompatible avec le capitalisme : tout
au contraire, il le sert ». En quoi l’offensive libérale de Macron peut-elle
constituer un terreau pour les pires idéologies ?

Ludivine Bantigny : Le macronisme nous apparaît comme une forme de paroxysme dans
l’autoritarisme du capital. Bien sûr, nous ne sommes pas dans un régime fasciste qui élimine
ses opposants au nom d’une nation qu’on prétend menacée de « délitement », de
« déclin », etc. Nous sommes actuellement dans une situation de crise d’hégémonie – pour
parler comme Gramsci –, où le pouvoir peine à obtenir un consentement de la population. Il
est donc obligé de recourir de plus en plus aux forces répressives, au point d’être dans une
forme d’allégeance à l’égard de la police.Ugo Palheta Dans une période où les capitalistes veulent aller
toujours plus loin dans la
destruction des droits conquis, les mouvements sociaux existants deviennent un obstacle à
ce rouleau compresseur. D’où l’intensification de la répression. Mais en faisant cela, la classe
dominante s’affaiblit politiquement, la population constatant nécessairement la dégradation
de ses conditions de vie et de travail. Une défiance s’installe vis-à-vis du monde politique,
particulièrement en France. La bourgeoisie est alors contrainte d’user de méthodes plus
brutales de maintien de l’ordre social et peut lorgner des forces d’extrême droite qui
disposent d’une certaine assise populaire et qui, même si elles se présentent comme
« antisystème », ne remettent pas fondamentalement en cause l’ordre social, bien au
contraire. Le recours au fascisme devient envisageable lorsqu’il y a une difficulté à
reproduire les rapports d’exploitation et à stabiliser la domination politique.

L’affaiblissement de la gauche, notamment parce que le PS a favorisé une vision
« ni droite, ni gauche », joue un rôle dans ce processus, écrivez-vous. Comment
peut-elle l’enrayer ?

Ludivine Bantigny : Il faut reposer la question de l’horizon politique, ne pas craindre de
mettre en cause le capitalisme lui-même, d’envisager des alternatives postcapitalistes,
comme la socialisation des moyens de production. Par ailleurs, l’antifascisme ne peut pas
être cloisonné, tenu à l’écart des autres luttes sociales. L’extrême droite aujourd’hui a ses
propres réponses sur tous les terrains qui nous semblent décisifs, comme l’écologie et le
féminisme. L’idée c’est donc de désectoriser l’antifascisme, de l’imprégner de toutes les
luttes et de faire en sorte qu’elles soient portées par une vigilance vis-à-vis du processus de
fascisation.

Ugo Palheta : Il faut effectivement réussir à arrimer la lutte antifasciste à un horizon politique
et stratégique. Lorsque l’antifascisme est parvenu à devenir un mouvement de masse, dans
l’entre-deux- guerres, il était arrimé au mouvement ouvrier, qui portait l’espoir d’une
alternative au capitalisme. Aujourd’hui, c’est aussi cela qu’il faut reconstruire : un sens
commun antifasciste qui va des tâches les plus défensives jusqu’à l’horizon d’une rupture
avec cette société d’oppression et d’inégalités. Le fascisme est fondamentalement la
cristallisation politique de l’inégalité, le projet d’une société violemment hiérarchique et
oppressive : on ne pourra donc le faire disparaître sans faire naître une nouvelle société,
sans classes et sans oppression.

(1) Paru le 8 septembre aux éditions Textuel, 14,90 euros.
Eric "Camille" Alkaest
Très intéressant. Le passage le plus pertinent de cette présentation est de mon point de vue, celui-ci : "Par ailleurs, l’antifascisme ne peut pas être cloisonné, tenu à l’écart des autres luttes sociales. L’extrême droite aujourd’hui a ses propres réponses sur tous les terrains qui...
Eric "Camille" Alkaest
Après, j'ai trouvé significatif que le programme du RN contienne la privatisation de l’audiovisuel public qui est de nos jours le moins impacté par le pouvoir et d'une liberté de ton qu'il n'avait pas au début de la 5e république, du temps du ministère de l'information : les documentaires l...
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